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  • RENCONTRE AVEC PHILIPPE ALLIAUME REDACTEUR EN CHEF DE SUISSE MAGAZINE INSTALLE A VANVES : « Ne cédons pas à de trop faciles analogies avec les votes Front national ! »

    La tentation était grande d’aller pousser la porte de la rédaction de « Suisse Magazine » au 9 rue Sadi Carnot – où les vanvéens peuvent passer (le matin) pour se procurer un numéro de cette revue qui a 60 ans et s’adresse aux 200 000 suisses vivant en France – pour rencontrer Philippe Alliaume, son rédacteur en chef, au lendemain de cette votation Suisse qui a permis au peuple helvétique de se prononcer à 50,34% pour une régulation de l’immigration. Ce qu’a fait le blog Vanves au Quotidien, pour éclairer les vanvéens sur les raisons de ce vote, alors que beaucoup d’entre eux ont pris le chemin des Alpes, peut être suisses, pour aller skier pendant ces vacances d‘hiver.

    Vanves Au Quotidien - Quelles sont les raisons qui ont provoqué cette votation ? 
    Philippe Alliaume : « Une des spécificités du système suisse est que les citoyens peuvent demander que le peuple se prononce par référendum sur un projet de loi constitutionnelle. Il suffit pour cela de recueillir 100 000 signatures et de proposer un projet de texte. Peu importe le sujet pour autant qu’il soit correctement rédigé, la disposition deviendra alors constitutionnelle si elle recueille la majorité à la fois des cantons et du peuple. C’est ainsi que ... le taux de la vignette autoroutière est entré dans la constitution, que les suisses ont voté contre l’intégration de leur pays en 2002… Car si on a beaucoup parlé de ce vote national, il y en avait des dizaines d’autres au niveau cantonal ou communal, comme sur la construction d’une salle polyvalente dans une petite commune de 2000 à 3000 habitants qui a été rejeté. On n’imagine pas cela en France parce que beaucoup se désintéressent de ce qui se déroule dans leur commune, peut être en dehors des élections locales ? La réforme constitutionnelle de 2008 a introduit en France le référendum d’initiative populaire, sauf que l’initiative est partagée entre les citoyens (2,5 millions de pétitionnaires) et les députés, et qu’il ne peut se dérouler que si le parlement ne s’est pas prononcé sur la question soulevée. On attend toujours les décrets d’applications. Bien évidemment le recueil de ces 100 000 signatures, en Suisse,  nécessite des moyens qui souvent reposent sur un parti ou un lobby. Ici c’est l’Union Démocratique du Centre, (UDC) un parti de droite nationaliste et populiste qui a porté cette initiative.

    V.A.Q. – N’est-ce  pas un homologue du Front National  ?

    P.A. : « Non. Cette analogie entre l’UDC et le FN est terriblement réductrice.  De même que l’UDC ne se réduit pas au médiatique Christophe Blocher.  L’UDC est le successeur d’un parti appelé parti agrarien (parti des paysans, artisans et indépendants). Il comprenait une aile souverainiste et une aile conservatrice qui a fait sécession. L’UDC défend un certain nombre de valeurs suisses telles que l’indépendance nationale, la neutralité et le « moins d’état ». Elle a aussi des positions ouvertement xénophobes.  Mais l’ensemble de son programme ne se réduit pas à cela et les 30% de votes favorables que recueille régulièrement l’UDC ne signifie pas pour autant que les électeurs soutiennent 100% de ses positions.

    V.A.Q.  – Mais  le vote sur le sujet ressemblait étrangement à un vote front national !
    P.A. : « Cette initiative a été beaucoup commentée mais peu lue. Elle demande que la Suisse gère de manière autonome l’immigration des étrangers, en fonction des intérêts économiques globaux de la Suisse, et dans le respect de la préférence nationale. En réalité, elle s’oppose essentiellement à la libre circulation prévue par l’Union Européenne et à la « gestion par Bruxelles de l’immigration Suisse ».
    Il faut rappeler que la Suisse accueille un nombre d’étrangers très important par rapport ses voisins. Près de 25% d’étrangers, dont un quart d’immigration récente. Une grande partie de ces étrangers sont parfaitement intégrés et tout à fait indispensables à l’économie. Il est toujours intéressant de s’interroger sur la contraposée de l’initiative. Est-il raisonnable de demander à un pays de 7 millions d’habitants d’accueillir sans limite l’immigration d’un « continent » de plus de 400 millions d’habitants ? Il y a 200 habitants au km2 en Suisse, 100 en France. 

    V.A.Q  - Que reprochent les Suisses à ces étrangers  !
    P.A. : «
     Avant de leur reprocher quoi que ce soit, les Suisses commencent déjà pragmatiquement par se demander si ils ont la possibilité de les  accueillir correctement (transports, logements, services publics, ..).  Mais il est vrai aussi que dans certaines régions les résidents s’agacent de voir que leur propre langue n’est plus la langue qu’on entend le plus souvent. De même, l’immigration, en l’absence de salaire minimum légal, provoque une pression à la baisse sur les salaires ce qui agace les salariés suisses dont une partie a voté pour l’initiative et contre la position patronale.  Comme quoi il  n’y a pas que la droite bourgeoise intéressée par cette initiative.
    Et, sans doute en creux, il y a une réaction aux attaques permanentes de l’Union Européenne depuis des années…notamment sur les bilatérales et les dossiers financiers. L’UE reproche en permanence à la Suisse d’avoir un modèle économique et politique qui, contrairement au sien, fonctionne… et ensuite s’étonne que la Suisse lui renvoie la politesse en cessant d’absorber sans limites le  chômage structurel de l’UE..  

    V.A.Q.  - Quelles seront les conséquences  dans ses relations avec l’UE et la France?
    P.A. :
    « De manière un peu gesticulatoire, le gouvernement, qui avait pourtant tous les indicateurs pour s’y attendre, crie au séisme politique. Une partie du système politique a même articulé « qu’il n’y avait qu’à laisser M. Blocher aller négocier les conséquences de son initiative ». D’autres ont proposé que les cantons qui avaient voté pour l’initiative supportent la majorité de la réduction des quotas, et que ceux qui ont voté contre puissent au contraire augmenter leurs quotas. Le PIB de la Suisse qui ne repose que très minoritairement sur les banques, contrairement à ce que clament les commentateurs qui ne regardent pas la réalité,  repose en revanche sur son industrie et ses services, gros employeurs d’étrangers.
    En pratique, le gouvernement va d’ici la fin de l’année proposer des mesures de mise en pratique. Notamment afin de déterminer les  besoins ou les plafonds acceptables de permis à délivrer. Rappelons aussi que les mesures ne concernent pas les étrangers déjà résidents ni les échanges universitaires. Mais il est certain que cette votation va contribuer à tendre encore plus les relations entre l’UE et la Suisse. L’UE n’a d’ailleurs pas tardé à réagir en retirant de l’ordre du jour les négociations bilatérales prévues en 2014. Mais là encore,  l’UE est prise par son propre système. En théorie, le vote Suisse qui revient à rejeter la libre circulation entre l’UE et la Suisse,  imposerait de détricoter l’ensemble des accords EU-Suisse. Politiquement oui, mais pratiquement ?

    Un politicien français déclarait il y a quelques jours que « il n’y avait qu’à rompre les échanges commerciaux avec la Suisse». « Mais voilà, lui répondait son contradicteur, il ne vous a pas échappé que c’est un des rares pays avec qui la Suisse à une balance commerciale excédentaire.  No comment. Ainsi, une fois de plus, nous allons nous retrouver avec l’obligation de trouver un équilibre entre ce que les détracteurs de l’EEE en 1992 appelaient ironiquement  « l’acquis communautaire », accumulation de textes se contentant de fixer des objectifs, ou directement applicables, et le pragmatisme helvétique. Cela ne sera pas simple, d’autant plus que la Suisse semble, depuis plus de 20 ans, avoir le plus grand mal à confier les affaires publiques à de véritables hommes d’état. 

    A Suivre….