Eclairage sur le Grand Paris d’un historien à un moment où une nouvelle étape se dessine avec le déblocage sur le SDRIF et l’adhésion de notre communauté d’agglomération GPSO et de ses 7 villes de droite dont Vanves à Paris Métropole. Emmanuel Bellanger est l’auteur d’un livre passionnant sur « Sceaux et le Grand Paris, du patriotisme municipal aux solidarités métropolitaines XIX-XXéme siécles » (Collection Regards sur Sceaux) préfacé par Bertrand Delanoë maire de Paris avec une interview de Philippe Laurent, son maire qui en a été à l’initiative. Chargé de recherche du CNRS au Centre d’histoire sociale du XXe siècle de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Emmanuel Bellanger est un spécialiste de l’histoire politique, sociale, urbaine de la banlieue parisienne et du Grand Paris. Il est l’auteur de plusieurs contributions sur les élus locaux, les fonctionnaires territoriaux et les politiques publiques locales.
Emmanuel Bellanger : « C’est le retour d’un Grand Paris dont la gouvernance est longtemps restée taboue ».
Vanves Au Quotidien - En quoi l’idée d’un Grand Paris n’est pas nouvelle ?
Emmanuel Bellanger : « L’histoire du Grand Paris est née avec l’urbanisation et la densification de l’agglomération parisienne au XIXe siècle. Loin d’être une invention récente, la formation d’un Grand Paris, liant la capitale aux communes de la première couronne, est souhaitée et revendiquée par les élus de l’agglomération parisienne. Le Grand Paris épouse les limites administratives de la préfecture de la Seine et du conseil général de la Seine. Cette assemblée départementale joue le rôle essentiel d’instance de gouvernement d’agglomération. Elle constitue un puissant levier d’intégration et de cohésion urbaine pour les communes avoisinant la capitale.
Dans cette configuration institutionnelle de coopération, incarnée durant l’entre-deux-guerres par l’autorité d’Henri Sellier, maire de Suresnes et secrétaire général de l’association des maires de la Seine, la ville de Paris cofinance une part importante des équipements des villes de la proche banlieue sous pression démographique.
VAQ - Expliquez-nous comment est-on passé du patriotisme municipal aux solidarités métropolitaines au cours du XXe siècle ?
E.B. : « L’image des communes repliées sur elle-même, rivées sur leurs acquis, incapables de nouer des ententes, des compromis avec les collectivités environnantes, qui forment avec elle ce qu’il est convenu d’appeler le « Grand Paris », est en dissonance avec la réalité. Le conseil général de la Seine réalise en banlieue des cités jardins d’habitations à bon marché, les ancêtres des HLM, des dispensaires, des écoles de plein air, des crèches… Il finance l’assainissement du département et son alimentation en eau potable, se lance dans de grands travaux de lutte contre les inondations. De leur côté, les communes du Grand Paris innovent en inventant, à partir des années 1900, de grands syndicats intercommunaux du gaz, des pompes funèbres, de l’électricité, de l’eau, des cimetières, des hôpitaux…
Le Grand Paris du XXe siècle devient le territoire par excellence des coopérations départementales et intercommunales. Cette expérience exemplaire est cependant interrompue par la loi du 10 juillet 1964. Cette loi fondamentale démembre le département de la Seine au profit des nouvelles entités départementales et désolidarise la capitale de sa proche banlieue.
VAQ - Quel regard porte l’historien sur les initiatives prises aujourd’hui tant par les élus avec Paris Métropole que le gouvernement avec le projet du Grand Paris ?
E.B. : « Si l’histoire ne se répète pas, force est de constater que la recherche aujourd’hui d’une gouvernance métropolitaine n’est sans résonance avec l’histoire du département de la Seine créé sous la Révolution française. La rupture fondamentale de 1964 a contribué à couper la capitale et les départements de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et des Hauts-de-Seine de leur environnement institutionnel.
Cette rupture a surtout brisé le système de péréquation qui existait au temps du Grand Paris et dont profitaient les communes les plus exposées aux maux de la civilisation urbaine (croissance démographique déséquilibrée, étalement urbain non maîtrisé, enclavement, désindustrialisation, paupérisation…). Jusque dans les années 1960, en dépit des clivages politiques très marqués entre la banlieue rouge prédominante et la capitale d’esprit plus conservateur, les collectivités locales les plus riches participaient à l’intégration urbaine des collectivités les plus pauvres.
Depuis le tournant des années 2000, les collectivités locales semblent vouloir tourner la page de leur isolement et réparer ce que l’État avait contribué à défaire en 1964. Il est paradoxal de mesurer qu’au moment où le pouvoir central institue en province, en 1959 et en 1966, des gouvernements d’agglomération sous la forme des districts urbains et des communautés urbaines, il met un terme à l’expérience politique de l’agglomération capitale qui avait pourtant fait ses preuves. La priorité, à l’époque, se polarise sur l’institutionnalisation du district de la région parisienne, inconciliable selon Paul Delouvrier à la tête du district, avec le maintien du département de la Seine et de sa préfecture, considérée comme un État dans l’État.
Aujourd’hui, la création du syndicat mixte Paris Métropole, l’institution d’un secrétariat d’État au développement de la région capitale, les prises de positions du Président de la République ou la médiatisation du projet du sénateur Dallier et des propositions du comité Balladur marquent sans conteste le retour d’un Grand Paris dont la gouvernance est longtemps restée taboue.
VAQ - Quelles leçons de l’histoire nos élus du Grand Paris ont il intérêt à retenir pour demain ?
E.B. : « Dans l’intérêt de leurs concitoyens, leurs prédécesseurs, de toutes tendances politiques, ont montré l’exemple en dépassant les clivages partisans et en acceptant de mutualiser une partie de leur richesse. Laisser certains territoires de l’agglomération parisienne s’enfoncer dans la ghettoïsation et la paupérisation aura, in fine, de graves conséquences sur la cohésion de l’ensemble du territoire métropolitain. Le courage politique aujourd’hui est de faire œuvre de pédagogie et de s’engager dans une coopération exemplaire. L’attractivité de la métropole francilienne en dépend.