Philippe Laurent : « La TP était un mauvais impôt…mais qui rapportait beaucoup
Vanves Au Quotidien vous fait profiter de la rencontre de son auteur avec Philippe Laurent maire de Sceaux, Vice Président de l’AMF (Association des Maires de France), spécialiste des finances locales sur les enjeux et les dangers de cette réforme de la Taxe Professionnelle, qui a donné lieu à une interview dans Première Heure, journal par Fax des Hauts de Seine. Inscrite dans le PLF (Projet de Loi de finances) 2010, cette réforme est actuellement en discussion au Parlement, et fait des vagues surtout après la prise de position de Jean Pierre Raffarin et de 24 sénateurs qui ont annoncé qu’ils ne la voteront pas au Sénat.
Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, les collectivités locales se financent par un certain nombre de taxes indirectes sur l’électricité, les droits de mutation, et par trois principales taxes directes : La taxe professionnelle (TP), la taxe foncière sur les propriétés bâties et la taxe d’habitation. La TP est payée par tous les acteurs économiques en fonction, pour l’essentiel, des bâtiments occupés et des machines utilisées pour la production industrielle qui frappait beaucoup plus l’industrie que les services et les banques. "En 1999, Dominique Strauss Kahn (DSK), alors ministre, a supprimé dans sa loi de finances, ce que l’on appelait la part salaire de la taxe professionnelle. Sachant qu’à l’origine, la TP était assise sur les salaires versés par l’entreprise et ses immobilisations. Il expliquait qu’elle était pénalisante pour l’emploi. Personne ne l’a prouvé. Par contre, pesant de plus en plus sur l’industrie, elle conduisait à la délocalisation. Personne ne conteste le fait qu’elle n’était peut être pas un impôt complètement adapté à la situation. Sa suppression en elle-même ne fait pas trop question ! C’est plutôt de savoir par quoi on la remplace, alors qu’elle rapporte 28 Milliards d’euros".
Vanves Au Quotidien – Justement ?
Philippe Laurent : « N’oublier pas comme pour tout impôt qu’elle concerne des contribuables et des collectivités locales. On s’est beaucoup occupé des contribuables. Le gouvernement a négocié avec les organisations patronales, la CGPME, les professions libérales et a répondu à leurs attentes. Nous nous sommes retrouvés non pas avec un ré-équilibrage de la contribution économique aux collectivités locales entre industries qui devaient payer moins et services peut être plus, mais avec un système dans lequel il n’y avait pas de perdants. Moyennant quoi, s’il n’y a pas de perdants du côté contribuables, il y en a forcément du côté de ceux qui reçoivent, les collectivités locales, parce que de toute façon, cela diminue.
Le gouvernement s’est aperçu courant Août 2009 qu’il fallait compenser... Mais compenser pour nous, ce n’est pas la même chose par de l’argent que l’on donne (qui peut être remis en question) ou par de l’argent qui est issu de l’impôt (qui est pérenne), ce dernier système, sur lequel les élus ont des responsabilités, étant beaucoup plus vertueux.
VAQ – A quel système de substitution est on arrivé ?
P.L. : « A un système composé de 4 grandes masses : La Cotisation Locale d’Activités qui est payé par l’entrepreneur et repose sur des valeurs foncières. Elle ne pose pas trop de problèmes, les collectivités pouvant en fixer le taux… Elle ne représente que 6 Milliards sur les 28 rapportés par la TP. La Contribution Complémentaire qui est assise sur la valeur ajoutée de l’entreprise avec un taux national, ce qui veut dire que les collectivités locales ne pourront pas en fixer le taux. Elle représente 11 milliards. Enfin, toute une série de petites taxes créées ou revues ( sur les répartiteurs téléphoniques, les antennes de téléphonies mobiles, les éoliennes… ) qui permettent de dégager de 5 à 6 milliards, et une dotation de l’Etat.
VAQ - Quels sont ses défauts ?
P.L. : « Il pose deux problèmes : Nous avons là des impôts qui ont une évolutivité qui n’a rien à voir avec celle de la TP. Elle était surtout un mauvais impôt, mais qui rapportait beaucoup, et dont la progression était relativement forte. Elle a permis aux collectivités locales d’investir depuis 30 ans sans augmenter leurs dettes, et sans trop augmenter les impôts sur les ménages. Là, on l’a remplace par un carburant moins tonique pour lequel on ne pourra voter le taux que sur un quart du montant. Par conséquent, nous perdons à la fois dynamisme, recettes, liberté et autonomie fiscale. L’inquiétude est très forte chez les élus parce que l’on sait que dans le futur, si l’on veut continuer à équiper le pays en matière de transports en commun, en installations dépolluantes, et à fournir des services, il nous faudra avoir une ressource dynamique. Et c’est là la véritable inquiétude plus que la réforme territoriale
VAQ – Que s’est il passé entre le gouvernement et les élus locaux depuis Août dernier ?
P.L. : « Dés le printemps dernier, il y avait déjà des discussions entre la commission des finances de l’assemblée nationale avec Didier Migaud et Gilles Carrez et les associations d’élus sur le système nécessaire à mettre en place. Un certain nombre des idées émises en Juin ont été reprises dans l’amendement Carrez à l’article 2 du PLF qu’il a complètement ré-écrit. Il concernait pour l’essentiel la cotisation complémentaire sur la valeur ajoutée : L’Etat avait prévu au départ qu’elle soit prélevée entreprise par entreprise avec un taux sur la valeur ajoutée progressif par rapport au chiffre d’affaire. Ainsi, par exemple, les entreprises en dessous de 500 000 E ne payaient rien, au dessus c’était progressif à 01%, 0,3% de la valeur ajoutée jusqu’à 50 ME où elles payaient alors 1,5 % de la valeur ajoutée dégagée. L’argent collecté allait dans un fonds national qui était réparti entre les départements et les régions seulement, pas les communes et les communautés, en fonction de critères tenant compte de la population, des maisons de l’emploi, salariés… pas liés forcément à l’existence de telle ou telle activité sur place. Le lien avec le territoire était totalement distandu.
Un des éléments de l’amendement est d’une part de recréer ce lien et d’autre part, de faire bénéficier également les communes et les communautés de communes ou d’agglomérations de cette partie cotisation complémentaires. Comme tout ceci est fait enveloppe constante, si les communes ou les communautés perçoivent une part de cotisation complémentaires (2300 M€ sur un total de 11 Milliards) le reste allant aux départements et aux région, cela veut dire qu’elles perçoivent moins de taxe d’habitation, de taxe foncière bâtie, et qu’une part de celle-ci doit aller aux régions et aux départements.
Les associations d’élus ont demandé plusieurs choses : Que les communes et communautés bénéficient de cette cotisation complémentaire, qu’il n’y ait plus de taux progressif qui empêche ce qu’on appelle la territorialisation de l’impôt. Or celle-ci est incompatible avec le taux progressif. C’est là-dessus qu’a eu lieu le bras de fer entre les députés et le gouvernement qui a refusé de revenir dessus. Par contre il a accepté la territorialisation. Ce qui est totalement contradictoire. L’affaire n’est pas terminée car le sénat va devoir se saisir à nouveau de cette question. Notre combat est qu’il y ait un taux unique et non progressif sinon, nous aurons des inégalités très importante d’un territoire à l’autre selon le tissu économique. Ce qui n’est pas le but recherché.
VAQ - Comment cela se présentera au Congrés de l’AMF à la mi-Novembre
P.L. : « Je pense que les maires sont assez remontés, notamment ceux des villes moyennes et des communes rurales parce qu’ils ont le sentiment qu’avec la suppression de la TP, ils ne verront aucunement le retour des efforts qu’ils font pour aménager et accueillir sur leur territoire des entreprise et des activités économiques. C’est une très forte crainte que je trouve fondé qui risque de creuser le fossé de l’incompréhension entre le gouvernement et les élus locaux. J’avoue ne pas très bien comprendre les raisons de l’entêtement du gouvernement sur cette affaire du taux progressif avec la solution proposée par Gilles Carrez qui convenait globalement. Mais on sait pourquoi : C’est parce qu’il a pris des engagements très forts vis à vis des PME sur lesquels il ne veut pas revenir. L’erreur principale commise a été de négocier d’abord avec les contribuables, puis ensuite avec les collectivités locales où là, le gouvernement s’est emmêlé les pieds dans le tapis.
En tous les cas, dans cette affaire les élus locaux se comportent de manière très responsables, parce qu’ils demandent plus de responsabilités fiscales. Ils seront exactement dans la situation d’un jeune qui perçoit de l’argent de poche avec un montant défini par les parents sans pouvoir bouger et qui en fait ce qu’il veut. Alors que notre situation était jusqu’à présent celle d’un enfant qui ne perçoit pas d’argent de poche mais qui travaille pour gagner l’argent dont il a besoin. Nous ne voulons pas d’argent de poche de l’Etat.