Avoir 20 ans ces années là…. (1961-1962)
Hier matin, pour la cérémonie, très sobre, marquant le 47ème anniversaire du Cessez-le-feu de la guerre d’Algérie, devant la stéle au carrefour des rues Sadi Carnot/Auguste Comte, Daniel Noyer, Vice Président de la FNACA de Vanves, qui devait avoir sûremment 20 ans à cette époque, a lu ce texte, ce poéme, qu’il a écrit.
Partir pour quelque part
Fuir les regards amis
Redouter ce départ
Abandonner son nid.
Se rassurer encore
Dans le rire du copain
Et sourire à l'aurore
Qui éclaire le train.
Entrevoir ce grand port
Qui nous envoie vivant
Et recueille les morts
Que lui ramène le vent.
Sentir d'abord l'Afrique
Avant que de la voir
Qui se voile pudique
Sous la brume du soir.
La poussière, les camions
Le soleil qui darde
Les cahots, les horions
Et l'odeur de bouffarde.
Une première nuit
La tête sous les étoiles
Sous le croissant qui luit
Qu'un mince nuage voile.
Isolé et de garde
Dans le froid de la nuit
On écoute et regarde
En serrant son fusil.
Ces pas que l'on entend
Ces ombres que l'on devine
Et l'infini du temps
Quand la pensée chemine.
Premiers bruits de bataille
La peur qui naît au ventre
Les éclats ! La mitraille...
Ouf ! Maintenant on rentre.
Avec un prisonnier
Tête basse, œil triste
Qu'on emmène poings liés
Barbe noire et teint bistre.
Entendre à la minuit
Hurler le prisonnier
Se retrouver sali
Et se mettre à prier.
Des braillements dans la cour
Interrompent le repas
On attend tout le jour
L'ordre qui n'arrive pas.
Embrasser ses parents
Transformés en papier
S'échapper un moment
Dans les pages du courrier.
Disparaître dans les bras
Du rêve qui nous attend
Et sangloter tout bas
Dans nos mains de vingt ans.
S'habiller impeccable
Saluer la caisse en bois
Voici un libérable
Sur qui on pose une croix.
Maudire cette embuscade
Et cette absurdité
Penser au camarade
Dans son éternité.
19 mars, un avion dans le ciel
Couvre la ville de papiers
Heures de joie, heures de miel
Ils nous annoncent la paix
Déjà on envisage
De n'être plus kaki
Des larmes sur le visage
De mon copain harki.
Serrer fort dans nos poches
Nos poings clos impuissants
Déjà sa mort approche
Demain coulera son sang.
Fêter enfin la quille
S'évader du Djebel
Ne penser plus qu'aux filles
Qui deviennent toutes belles.
Les bombes du désespoir
Eclatent dans la nuit
Et brisent tout espoir.
Les Européens fuient.
Plaindre ces familles
De pieds-noirs déportés
Sur ces quais qui fourmillent
De bidasses décorés.
Adieu belle Algérie
Le sillage du bateau,
Trait d'argent dans la nuit,
Cicatrice les eaux.
Revenir dans sa ville
Et chanter à la ronde
Ça y est ! Je suis civil
Re découvrir le monde.
Entendre les tartuffes
Les héros de comptoir
S'enivrer de leurs bluffs
Aux accents dérisoires.
Pérorer sur la guerre
Parler même de nos morts
Dire qu'il fallait la faire
Même qu'on était très fort.
Sursauter chaque soir
Et chercher son fusil
Ridicule dans le noir.
A quatre pattes sur son lit.
Aller gagner son pain
Voir croître les arbres
Et penser aux copains
A jamais sous leurs marbres