Rencontre avec Hanka Nectoux-Frkalova qui a vécu la libération de la Tchécoslovaquie du carcan soviétique peu après la chute du mur de Berlin et malheureusement sa séparation en deux pays avec la Tchéquie où vivent encore ses parents et ses proches. Elle nous donne une idée de la vie dans ces pays qui se trouvaient derrière le rideau de fer.
Hanka Nectoux-Frkalova:
« Le 9 Novembre 1989 ! C'était un jeudi, sans rien de spécial »
VAQ - Quel est votre sentiment 20 ans après la chute du mur de Berlin ?
Hanka Nectoux Frkalova : « C’est surtout l’ouverture des frontières qui nous a donné la liberté de voyager mais qui a aussi rendu notre pays plus fragile économiquement, avec l’arrivé du chômage que nous ne connaissions pas auparavant, l’apparition de produits bas de gamme et une baisse culturelle des émission télévisées grand public, avec les mêmes séries américaines qu’ici en France. Bref avec la chute du mur est arrivé la société de consommations et ses différents maux. Enfin il y a un plus grand individualisme qu’avant, surtout dans les jeunes générations qui ont peu connu l’ère soviétique !
VAQ - Que faisiez-vous le 9 novembre 1989 ? Quels souvenirs avez-vous de ces jours ?
H.N.F. : « Comme c’était un jeudi, sans rien de spécial, comme pour toute lycéenne. A l’époque la censure régnait et habitant un bourg au milieu du pays, nous ne savions évidemment rien de ce qu’il se passait réellement en Allemagne et ailleurs en Pologne ou Hongrie, également marquées par certains changements. Nous étions dans notre cocon bien gardés. C’est la raison pour laquelle, pendant un certain temps j’ai pensé que le mur n’était tombé qu’à la mi-décembre 89, quand nous l’avons appris.
VAQ - Quelle était la vie dans les pays derrière le mur comme ?
H.N.F. : « Je ne peux parler que de la mienne, en Tchécoslovaquie. Notre pays a connu la démocratie avant malheureusement d’entrer dans le totalitarisme du bloc soviétique. Le femme avait un droit de vote et pouvait être élue depuis en 1921, la séparation de l’église et de l’Etat existait depuis 1918, suite à la création de notre pays en 1918. Nous étions plus ou moins auto-suffisants, sur certains points. Nous ne connaissions pas trop de diversité. Certains produits étaient considérés comme produit de luxe ou bourgeois d’où leur prix excessif, ne correspondant pas à leur prix de fabrication tchèque, comme part exemple les machines à laver automatiques, des produits de nouvelles technologies, magnétoscopes, walk-men, chaîne hifi… Je dois dire que comparée à la Pologne ou la Roumanie, où existait le manque, presque la famine, nous étions heureux.
Le Rideau de Fer se manifestait plutôt dans la liberté de penser. Nous étions obligés de manifester pour le 1er Mai et aussi fêter à l’école le 7 Novembre, la Révolution Russe. A l’école nous avions cours de sécurité civile, où l’on se préparait aux attaques des pays de l’Ouest, comment se cacher derrière une colline en cas de bombe nucléaire, que faire pendant une attaque biologique, avec dans chaque établissement scolaire des masques à gaz. Mais nous apprenions aussi à donner les premiers secours, arrêter une hémorragie, le bouche à bouche, etc. Nous avons aussi appris à tirer avec des carabines à air comprimé. J’étais fier de moi car j’étais une des plus rapide à l’école en montage et démontage de la Kalanichkof à 11ans. Chaque année, nous étions obligés de ramener 1kg d’herbes médicales séchées au printemps et à l’automne, comme par exemple de l’églantier, des orties, du tilleul, pour l’industrie pharmaceutique et les ainés faisaient des collectes de vieux papier et métal pour notre industrie. …
Mon premier souvenir marquant, j’avais 11 ou 12 ans, concerne un cours d’histoire sur l’année 1968. Notre maîtresse nous parlait assez confusément de contre révolution, des ennemis voulaient tout bouleverser, et qu’heureusement, nos amis russes, polonais, hongrois, sont venus nous sauver. Je ne comprenais pas très bien son discours, j’ai donc demandé à mes parents ce qu’il s’est passé. J’ai vu mon père avec des larmes dans les yeux, et ma mère me disant d’apprendre ce qui était écrit et de ne pas poser de questions.
De temps en temps, on pouvait voir des manœuvres militaires de l’Alliance de Varsovie. A ces moments là, on rencontrait aussi des chars sur les routes. On connaissait l’existence de la censure, les acteurs ou chanteurs ayant agit ou dit quelque chose contre le régime, étaient interdit, les films où ils ont joué aussi. Pendant ma première année au lycée (en 1987), le dernier jour d’école pour les étudiants bacheliers nous avions l’habitude de chanter ce jour là en remplacement des sonneries. L’un d’entre eux, un des plus brillants du lycée, qui avait son père responsable de l’hôpital, s’est mis à chanter une chanson interdite. Il lui a été immédiatement interdit de passer son bac, et à la place de ses études, il a dû travailler manuellement. Finalement il n’a fait son bac, qu’avec nous, après la Révolution.
VAQ – Avez-vous d’autres exemples ?
H.N.F. : « Une fois j’ai acheté un disque à mon pére pour son anniversaire. C’était un chanteur populaire, très apprécié, qui avait aussi une décoration d’Etat, pour le travail qu’il faisait. Seulement, entre le jour où je l’ai acheté et le jour où nous avons fêté l’anniversaire de mon père, le chanteur n’est pas revenu de sa tournée aux Etats-Unis. Tous ses disques ont été détruits dans les magasins, et j’étais très fière de donner à mon père, quelque chose qui n’existait plus. Certains livres d’auteurs actuels anglophones étaient édités plutôt en Slovaquie où la censure était moins forte. C’est la raison pour laquelle j’ai lu tous les livres de l’écrivain Hailey en slovaque.
Avant 1989, il faut savoir, par exemple, qu’il n’existait qu’une seule agence de voyage « Čedok » avec laquelle nous devions passer pour voyager et qui pratiquait des prix assez cher. En Août 1987 lorsque j’avais 15 ans, j’ai pu voir pour la première fois la mer… en Yougoslavie. Mais pour ce voyage mes parents ont été obligés de faire une demande à l’automne 1986, la Yougoslavie étant alors considérée comme un pays plus libéral que socialiste. Ils ont dû donner des informations personnelles, professionnelles, concernant leur travail, leurs activités extra professionnelles, leur appartenance à un parti politique et ou une association. Même chose quant à nos biens, nos prêt en cours, la famille proche restant au pays. Il leur a fallu expliquer où nous allions ou nous comptions dormir et faire le budget pour ce séjour. Après acceptation de ce dossier (les Autorités ayant été rassurées sur notre retour) mes parents ont reçu l’autorisation pour des devises (d’argent étranger) selon le budget prévu et dans une certaine limite (pour être sur que nous ne migrerions pas). Cet échange monétaire avait la particularité d’être irréversible, fonctionnant seulement des couronnes tchécoslovaques vers les dites devises sans réciprocité, les devises non utilisées à terme pouvant être échangées contre des bons d’achat dans des magasins spécialisés TUZEX (avec la vente de produits étrangers et nos destinées à l’export). A l’époque nous pouvions voir dans des grandes villes des « veqlaky » mot allemand signifiant « échange d’argent» (mais de manière illégale)
VAQ - Quand est-ce que le mur est tombé dans votre pays ?
H.N.F. : « Le 17 Novembre 1989. Nous attendions que quelque chose arrive déjà en 1988, parce que les années en « 8 » ont toujours été marquantes pour la destinée du pays. Il y a de plus en plus de gens qui se déplaçaient, cherchant des signataires de la Charte 77 ou quelques phrases significatives (Droits de l’Homme). Finalement cela aura attendu 1989.
Au mois de Janvier, pendant la semaine de Jan Palach, il y a eut quelques tentatives de manifestations non autorisées, qui ont échouées. Finalement, c’est le 17 Novembre, pendant la manifestation autorisée des étudiants tchèques et SSM (rassemblement des jeunesses socialistes), le jour du 50ème anniversaire de l’assassinat de Neuf Représentants du Mouvement Etudiant et de la fermeture des universités par les Nazis.
Cette manifestation, au début calme, a dévié de son parcours initial, en allant sur l’Avenue Nationale Národní třída à Prague et s’est transformé en une manifestation contre le Régime. Elle a été stoppée par la police. Pour mettre la population en colère, des dissidents ou services secrets étrangers ont fait circuler de fausses informations, notamment, suite à l’intervention policière, un étudiant est décédé. Ce qui a accentué effectivement la réaction de la population, les universités se mettant en grève, les théâtres aussi, mais la censure existait encore. Deux journaux, l’un du Parti Démocratique et l’autre des Jeunesses Socialistes, commencérent à se différencier de la brutalité du 17 Novembre. Le dimanche 19, était créé Občanské Forum (OF) en Tchéquie et en Slovaquie Verejnost Proti Nasiliu (VPN) pour le Peuple contre l’Oppression. Vaclav Havel et Alexander Dubček ont fait leur réapparition dans la vie politique.
Dans les campagnes nous étions plus où moins informés de ce qui se passait à Prague, les jeunes étant euphoriques, portant sur leur manteau des rubans tricolores pour montrer qu’ils étaient d’accord avec ce qui se passait à Prague. D’un autre côté on sentait une grande réticence des adultes, qui avaient peur que ne nous arrive la même chose qu’en 1968 et de voir nos vie gâchées si nous nous faisons trop remarqués. Pendant une semaine, Le Directeur du Lycée, nous a appelé pour commenter la situation à Prague et pour que nous ne mettions pas en grève comme d’autres établissements, nous expliquant que tout était bien dans notre pays, que les manifestants et les pays de l’ouest voulaient détruire.
A Suivre….